Lundi 29 octobre dernier, un camion-citerne transportant près de 30000 litres d’hydrocarbures se couchait sur le pont Mathilde de Rouen. Pour une cause encore indéterminée malgré une évocation d’une vitesse excessive, dans une légère courbe, le citerne a quitté sa voie de circulation et est venu percuter le terre-plein central avant de se coucher sur le flanc, dans l’axe central du pont.
Dans sa course folle, il percute violemment un camion frigorifique arrivant en sens inverse. La citerne du camion s’est éventrée et son contenu s’est rapidement déversé et enflammé sur la chaussée. Le carburant en feu s’est très rapidement propagé et écoulé lentement en contrebas de l’ouvrage. Trois caravanes et deux camions stationnés sous le pont, côté rive gauche, et appartenant à des forains de la foire Saint-Romain, se sont enflammés à leur tour. Ils seront entièrement calcinés. Ce lundi 29 octobre, une épaisse colonne de fumée noire sera visible à des kilomètres autour Rouen et des villes limitrophes pendant plusieurs heures par des milliers de personnes.
En langage médicale, Rouen a subi un infarctus. L’une des artères principale de la ville est fermée pour au minimum trois semaines d’expertises. Et il faudra faire sans sa traversée pendant surement plusieurs mois. Aucunes opérations chirurgicales ne pourraient résoudre à court terme le calvaire autoroutier qui attend les rouennais dès la rentrée des vacances de la Toussaint. Le tablier métallique aurait bougé sous l’effet de la dilatation par la chaleur. Une expertise est en cours. Des travaux seront à prévoir.
Dans la constitution de l’ouvrage, un viaduc central en béton précontraint sur l’Île Lacroix. Il est constitué d’une poutre composée de deux caissons à inertie variable construite par voussoirs coulés en place. Il est précontraint longitudinalement et transversalement. Deux travées métalliques franchissent les bras de la Seine de part et d’autre du viaduc central. Chaque travée est constituée d’une dalle orthotrope associée à deux poutres longitudinales isostatiques. Elles reposent sur le viaduc central par l’intermédiaire d’un voussoir d’articulation cantilever en béton précontraint. C’est malheureusement la travée côté rive gauche qui a été touché par l’incendie ou il faut analyser si les propriétés et les caractéristiques de celle-ci correspondent encore aux normes d’usages.
En attendant, Rouen se remet doucement de son amputation mais gardera des séquelles de cet accident. La circulation s’organise tant bien que mal, et la commune entame une longue réadaptation de son réseau autoroutier. Le pont Mathilde est son flux de 80.000 véhicules par jour est difficilement transplantable sur les ponts Pierre Corneille, Boieldieu, Jeanne d’Arc, Guillaume le Conquérant et Flaubert. La traversée de la Seine aux heures d’entrées et de sorties de bureau tient du parcours du combattant. Alors qu’une vingtaine de minutes suffisaient à rallier la rive gauche à la rive droite, faut maintenant une bonne heure et demie pour le même parcours.
Face à cette situation exceptionnelle, un vaste plan de circulation a été mis en place par le Préfecture de la Seine Maritime, la ville de Rouen et la Créa pour limiter au maximum les désagréments pour les usagers. Concernant particulièrement les poids lourds, l’arrêté préfectoral du 31 octobre dernier vise globalement les accès vers Rouen depuis le nord par l’autoroute A28 et le tunnel de la Grand Mare ainsi que la voirie urbaine de la route de Neufchâtel d’Isneauville à Rouen et l’entrée dans Rouen par le CD 6015. Les sorties sont possibles sur tous ces axes pour les transporteurs routiers. Le dossier du contournement Est est remis sur la table. Plus de 30 ans que les rouennais attendent cette greffe qui donnerait un grand bol d’air au réseau intra urbain.
Rouen était déjà bien saturé avec sa circulation quotidienne, les habitués le savent bien. Un seul accident suffit quasiment à bloquer la ville. Rouen est au cœur d’un nœud routier considérable, les quais et les ponts sont quotidiennement saturés de voitures et poids lourds. Rappelons-nous en 2007, lorsqu’un poids lourds transportant de la paille de lin s’était enflammé devant les portes du tribunal de commerce à une heure de grande influence. C’était déjà une alerte sans gravité ni victime. Le côtoiement de véhicules particuliers et de transporteur de matières dangereuses qui desservent la zone portuaire, car l’agglomération rouennaise est au cœur d’un port principalement céréalier. Avec une circulation très importante, une zone industrielle étendue alimentée par un trafic poids lourds permanent, tous ces paramètres ont toujours fait de Rouen une zone de transport à risque.
Les automobilistes sont d’ores et déjà invités au civisme, au covoiturage et l’usage autant que possible des transports en commun pour répondre à l’asphyxie qui menace Rouen. Mais dans ces conditions, quel sort attend les automobilistes la semaine prochaine ? Embouteillages et stress ? Des voix s’élèvent pour la gratuité des transports en commun qui permettraient le dégorgement d’automobiles dans le centre-ville. Mais cette hypothèse n’est actuellement pas d’actualité aux yeux de la Créa. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste sur le dossier.
Le hastag #solupont lance les débats sur les solutions alternatives qui pourraient s’offrir aux automobilistes rouennais. Toutes les théories sont scrutées et analysées par les internautes. A certain moment, vous pourriez vous croire dans un hémicycle où dans une cacophonie générale, sortirait la proposition la plus loufoque à celle qui serait un réel gain de circulation dans la ville. Chacun y va de sa réflexion personnelle sans pouvoir réellement apporter une solution miracle.
Aujourd’hui, le pont Mathilde est une attraction pour les rouennais.Au centre de toutes les discussions, chez le boulanger, dans les salles d’attentes des médecins, dans les bistrots autour d’un demi, où autres salles de pause des entreprises ou chacun y va de son hypothèse et de sa version des faits. Pas une journée depuis près de deux semaines sans entendre parler du pont Mathilde. Des paris, où la note de restaurant est en jeu, sont même pris sur la date de sa réouverture. Sur place, nombreux badauds empruntent les rampes d’accès sur la rive gauche pour aller voir de plus près les restes carbonisés de l’incendie et faire une photographie souvenir avec son Smartphone, ou une série de clichés avec son appareil photo, d’un fait divers qui restera inscrit dans l’histoire moderne de la ville de Rouen. Il n’est pas rare d’y croiser une grand-mère accompagné de ses petits-enfants montrant du doigt la structure métallique du pont, narrant la construction de l’édifice dans sa jeunesse et l’origine du nom, rappelant au passage une période de l’histoire normande. Le pont porte effectivement le nom de Mathilde, l’épouse de Guillaume le conquérant, Duc de Normandie et roi d’Angleterre mort à Rouen en 1087.
Le pont Mathilde pourrait-il devenir une visite ludique et éducative pour nos petites têtes blondes durant sa phase de réparation ? Les plus de 30 ans connaitront-ils la construction et la destruction du pont Mathilde dans une même vie ? Des questions qui restent pour le moment sans réponse dans l’attente des résultats et l’étude complète des experts et des décisions qui seront prises par la suite …
Retour en images sur la petite visite des lieux …
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